L’accès à l’université : un droit fondamental en péril ?

L’accès à l’université : un droit fondamental en péril ?

Le droit à l’éducation et l’égalité des chances dans l’accès à l’université sont au cœur des débats sociétaux. Entre promesses républicaines et réalités du terrain, la France peine à garantir une véritable équité dans l’enseignement supérieur. Décryptage d’un enjeu crucial pour l’avenir de notre société.

Le cadre juridique du droit à l’éducation supérieure

Le droit à l’éducation est inscrit dans de nombreux textes fondamentaux. La Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 stipule dans son article 26 que « toute personne a droit à l’éducation » et que « l’accès aux études supérieures doit être ouvert en pleine égalité à tous en fonction de leur mérite ». En France, ce droit est consacré par le préambule de la Constitution de 1946, repris dans celle de 1958, qui garantit « l’égal accès de l’enfant et de l’adulte à l’instruction, à la formation professionnelle et à la culture ».

Au niveau législatif, le Code de l’éducation réaffirme ces principes. L’article L111-1 précise que « le droit à l’éducation est garanti à chacun afin de lui permettre de développer sa personnalité, d’élever son niveau de formation initiale et continue, de s’insérer dans la vie sociale et professionnelle, d’exercer sa citoyenneté ». Concernant spécifiquement l’enseignement supérieur, l’article L123-2 dispose que le service public de l’enseignement supérieur contribue « à la réduction des inégalités sociales ou culturelles et à la réalisation de l’égalité entre les hommes et les femmes en assurant à toutes celles et à tous ceux qui en ont la volonté et la capacité l’accès aux formes les plus élevées de la culture et de la recherche ».

Les dispositifs pour favoriser l’égalité des chances

Face au constat persistant d’inégalités dans l’accès à l’enseignement supérieur, divers dispositifs ont été mis en place pour tenter de rétablir une forme d’équité. Les bourses sur critères sociaux constituent le principal levier financier pour aider les étudiants issus de milieux modestes. En 2021, près de 750 000 étudiants en bénéficiaient, pour un budget total de 2,3 milliards d’euros.

D’autres mesures visent à agir en amont, dès le lycée. Les cordées de la réussite, lancées en 2008, mettent en relation des établissements d’enseignement supérieur avec des lycées situés dans des quartiers prioritaires. L’objectif est d’accompagner des élèves de milieux modestes vers des études longues grâce à du tutorat et des actions culturelles. Dans la même veine, les parcours d’excellence, créés en 2016, proposent un accompagnement renforcé de la classe de troisième à la terminale pour des élèves méritants issus de milieux modestes.

Certains établissements d’enseignement supérieur ont également mis en place leurs propres dispositifs. Sciences Po a ainsi créé en 2001 une voie d’admission spécifique pour les élèves issus de lycées classés en zone d’éducation prioritaire. D’autres grandes écoles ont suivi, avec des programmes similaires visant à diversifier leur recrutement.

Les limites du système actuel

Malgré ces efforts, force est de constater que les inégalités persistent. Selon une étude de l’Observatoire national de la vie étudiante publiée en 2020, 36% des étudiants sont issus de familles de cadres et professions intellectuelles supérieures, alors que cette catégorie ne représente que 18% de la population active. À l’inverse, seuls 11% des étudiants ont des parents ouvriers, contre 20% dans la population active.

Ces disparités s’accentuent dans les filières les plus sélectives. Dans les classes préparatoires aux grandes écoles, 52% des étudiants sont issus de familles de cadres, contre seulement 6% d’enfants d’ouvriers. Le phénomène est encore plus marqué dans certaines grandes écoles : à l’École normale supérieure, par exemple, 70% des élèves ont des parents cadres.

Plusieurs facteurs expliquent la persistance de ces inégalités. L’autocensure joue un rôle important : de nombreux élèves issus de milieux modestes s’interdisent de viser certaines filières, par manque d’information ou de confiance en soi. Le capital culturel transmis par les familles favorisées constitue également un avantage décisif, tant dans la réussite scolaire que dans la capacité à s’orienter efficacement dans le système d’enseignement supérieur.

Les défis à relever pour une véritable égalité des chances

Face à ce constat, plusieurs pistes de réflexion émergent pour renforcer l’égalité des chances dans l’accès à l’université. La question de l’orientation apparaît cruciale. Un accompagnement plus précoce et plus personnalisé des élèves, dès le collège, pourrait permettre de lutter contre l’autocensure et d’élargir les horizons des jeunes issus de milieux modestes.

Le renforcement des aides financières est également un levier important. Si les bourses sur critères sociaux ont été revalorisées ces dernières années, leur montant reste souvent insuffisant pour couvrir l’ensemble des frais liés aux études supérieures, en particulier dans les grandes villes où le coût du logement est élevé. La création d’un véritable statut de l’étudiant, assorti de droits sociaux renforcés, pourrait contribuer à réduire les inégalités.

La question des procédures de sélection mérite elle aussi d’être posée. Certains plaident pour une généralisation des dispositifs de discrimination positive, sur le modèle de ce qui existe déjà dans certaines grandes écoles. D’autres proposent de repenser les critères d’évaluation pour valoriser davantage les parcours atypiques et les compétences non académiques.

Enfin, la démocratisation de l’excellence passe aussi par un travail sur l’offre de formation elle-même. Le développement de campus délocalisés des grandes écoles et universités dans des villes moyennes pourrait contribuer à rapprocher géographiquement l’enseignement supérieur de qualité des populations qui en sont aujourd’hui éloignées.

Le droit à l’éducation et l’égalité des chances dans l’accès à l’université restent des idéaux à atteindre. Si des progrès ont été réalisés, de nombreux défis demeurent pour garantir une véritable équité dans l’accès à l’enseignement supérieur. C’est un enjeu majeur pour notre société, car de la capacité à offrir à chacun la possibilité de développer pleinement son potentiel dépend en grande partie notre cohésion sociale et notre dynamisme économique futur.